Les internautes russes auraient expérimenté au cours des deux dernières semaines ce qui pourrait être le futur cyberespace en Russie. La loi Runet soutenue par le président Poutine permettra à Moscou de se doter d’un poste de commandement unique à partir duquel les autorités pourraient gérer les flux d’informations dans le cyberespace russe (ou Runet), y compris la surveillance, la limitation ou le blocage de ces flux sur toute ou partie de l’étendue du cyberespace russe.
Selon un rapport, des actions menées par les forces de l'ordre russes sont à l’origine des problèmes qui ont affecté le réseau Internet mobile les samedi 27 juillet et 3 août à Moscou. Ce n'est pas très surprenant parce que pendant ces mêmes jours, des manifestations de masse ont eu lieu dans le centre de la ville. Et la perturbation a commencé alors que ces manifestations étaient sur le point de commencer. Seul l’Internet mobile a cessé de fonctionner, les appels vocaux n'ayant pas été affectés par la perturbation, a rapporté Zak Doffman, contributeur au magazine Forbes.
Selon M. Doffman, Eduard Lysenko, directeur du département régional de l'informatisation et de la communication lui a dit, en avril dernier, que l'objectif de la ville (Moscou) est « d'utiliser la technologie pour fournir de meilleurs services aux citoyens ». Mais il est clair que cet objectif ne tient que lorsque tout va bien, et non pas quand des citoyens russes protestent contre le président Vladimir Poutine. Selon le magazine, la manifestation du 3 août a été brutalement et fortement réprimée par les forces de l’ordre qui ont arrêté près de 700 personnes.
Selon Forbes, les trois principaux opérateurs de réseau de la ville – MTS, MegaFon et VimpelCom – ont expliqué que la perturbation de l’Internet était due à la « surpopulation » à Moscou. Mais le soupçon était que le dysfonctionnement de l’Internet avait été provoqué sciemment. Ce qui a été confirmé plus tard un rapport de BBC Russie.
Selon Forbes, BBC Russie prétend avoir vu une lettre interne aux employés du centre d'appels de l'un de ces opérateurs qui confirme les soupçons que l'Internet mobile a été délibérément brouillé par les autorités de la ville. La lettre disait : « Collègues, dans les districts de Presnensky et Basmanny et dans le centre de Moscou, un certain nombre de stations de base sont désactivées à la demande des forces de l'ordre ».
La lettre vue par BBC Russie ajoutait que cette information ne devait pas être divulguée publiquement, mais qu'il y aurait plutôt un subterfuge. « La compagnie ne reconnaît pas la présence d'un incident dans ces quartiers de Moscou ». La compagnie devait répondre aux clients qui demandent ce qui avait eu un impact sur leur Internet « qu'il n'y avait aucune difficulté à fournir des services de la part de l'entreprise ».
L’un des opérateurs sur les trois, MegaFon, a répondu à une demande de commentaires de la BBC. La compagnie a déclaré, sans que cela ne surprenne personne, qu'elle n'avait reçu aucune demande de la part d'organismes d'application de la loi pour restreindre les services de communication. S’adressant au Moscow Times, Megafon a déclaré :
« Malheureusement, la présence d'un grand nombre de personnes dans un espace restreint entraîne parfois une surcharge des réseaux 4G existants, qui ont leurs propres limites quant au nombre d'abonnés dans une cellule et à la taille du canal de transfert de données ».
Les deux autres opérateurs, MTS et VimpelCom (opérant sous le nom de Beeline), n'ont pas répondu à la demande de commentaires de BBC. Toutefois, un porte-parole de VimpelCom a déclaré à un radiodiffuseur russe que des « surcharges temporaires » avaient affecté son réseau le 3 août.
Des commentaires non officiels ont pointé du doigt le surpeuplement de la ville comme responsable de la perturbation de l’Internet mobile pendant ces deux jours de manifestation. En effet, selon le magazine, les opérateurs russes sont soumis aux lois fédérales qui imposent la suspension des services de communication à la demande des agences de sécurité ou du régulateur Roskomnadzor. Ces mêmes lois interdisent toute divulgation qu'une telle demande a été faite, un peu comme les entreprises sont tenues de collaborer avec le gouvernement en Chine.
Mas l’Internet Protection Society de la Russie, qui n’est pas tenue de respecter ses interdictions, a déclaré qu'il s'agit de la première fermeture de l'Internet mobile de Moscou ordonnée par l'État de cette manière. Selon l’association, les suspensions ont duré entre 7 et 11 heures et ont probablement été effectuées en commutant les stations de base en mode « GSM uniquement ». Il y a eu une suspension similaire dans la république d'Ingouchie en octobre, lors d'une manifestation contre un accord frontalier avec la Tchétchénie, mais c'était une première pour la capitale, a rapporté Forbes.
Selon le magazine, NetBlocks, une organisation non gouvernementale qui surveille la cybersécurité et la gouvernance d'Internet, a également confirmé « les preuves techniques d'une fermeture ciblée d'Internet en Russie le samedi 3 août 2019 alors que les manifestants sont descendus dans les rues de Moscou ».
Les efforts russes pour couper le pays de l’Internet mondial et gérer les flux d’informations dans le cyberespace russe
Le contrôle de l'État sur Internet en Russie a fait la une des journaux ces derniers mois alors que le gouvernement cherche à exercer plus de contrôle. Des restrictions ont été imposées aux sociétés d’Internet dans le pays et un cadre juridique a été introduit pour permettre à l'Internet russe d'être séparé du World Wide Web si nécessaire. La législation permet au gouvernement d'atténuer les « menaces qui pèsent sur le fonctionnement stable, sûr et intégral de l'Internet russe sur le territoire russe » en centralisant « le réseau général de communication » et en officialisant les plans d'un système alternatif de noms de domaine (DNS) pour la Russie, de sorte qu'il puisse être coupé du World Wide Web. Les fournisseurs de services Internet peuvent également être obligés de se déconnecter des serveurs étrangers et de transférer leurs services vers le DNS russe.
Le président de la Russie a présenté cette initiative comme une réponse défensive à la nouvelle cyberstratégie de l’administration Trump, qui permet des mesures offensives contre la Russie et d’autres adversaires désignés. L’objectif ultime, selon Poutine, serait de faire en sorte que le Runet continue de fonctionner même si des gouvernements étrangers tentaient d’isoler numériquement la Russie, en particulier comme les États-Unis. Ce dernier prend en effet la question de la souveraineté russe sur son cyberespace très au sérieux et n’exclut pas un scénario catastrophe dans lequel les États-Unis, probablement vus par Moscou comme l’administrateur en chef de l’Internet mondial, décideraient de déconnecter son pays du Web.
La Russie n’est pas le seul pays où les internautes sont le moins libres. En 2018, la Chine, qui prône un modèle d’Internet basé sur une approche restrictive et autoritaire, était considérée comme le pays où la censure sur le Web a atteint son paroxysme et où le contrôle pour l’accès aux données en ligne est le plus contraignant. Selon Forbes, les récentes manifestations à Hong Kong ont été marquées par l'ingérence de l'État dans les plateformes en ligne pour surveiller et contrôler les protestations.
À l’inverse de son partenaire chinois, le poste de commandement unique à partir duquel les autorités pourraient gérer les flux d’informations dans le cyberespace russe n’est pas peut-être encore mis en place – la loi Runet qui permet de couper l'Internet russe du reste du monde signée par Putine n’entrera en vigueur qu’en novembre –, mais les perturbations des 27 juillet et 3 août montrent que cela ne saurait tarder.
Source : Forbes, BBC Russie
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Le , par Stan Adkens
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