Les 17 et 18 novembre derniers, deux câbles sous-marins de fibre optique ont été endommagés dans la mer Baltique, mettant en lumière la vulnérabilité des infrastructures critiques dans cet espace stratégique pour les communications et l'énergie en Europe. Cet incident, attribué à une possible interférence extérieure, soulève des questions sur la capacité de l'Europe et de l'OTAN à protéger leurs installations sous-marines dans une région où la concurrence géopolitique s'intensifie.
Mais pour le Carnegie Endowment for Peace, un groupe de réflexion non partisan sur les affaires internationales, l'Europe était mieux préparée : « Alors qu'il n'existait auparavant aucun plan d'urgence en cas de sabotage, il y a désormais davantage de patrouilles maritimes, une tentative d'établir des liens plus étroits avec les services de renseignement et les prémices d'une nouvelle relation avec le secteur privé ».
Une réponse collective face à une menace croissante
Les câbles sous-marins sont le pilier invisible de l’économie numérique mondiale. Ces infrastructures critiques, enfouies au fond des océans, assurent un grand pourcentage des communications transcontinentales, y compris les flux financiers, les communications gouvernementales et les services cloud. Pourtant, leur vulnérabilité est devenue une source croissante d’inquiétude pour l’Europe, exacerbée par les tensions géopolitiques et les risques d’espionnage ou de sabotage.
Suite à des incidents antérieurs, tels que les sabotages des gazoducs Nord Stream en 2022, l'OTAN a renforcé ses initiatives. La création du Centre maritime pour la sécurité des infrastructures sous-marines critiques (en mai) et d'une cellule de coordination à Bruxelles vise à améliorer le partage d'informations entre les alliés et le secteur privé. De plus, l'intégration récente de la Suède et de la Finlande dans l'OTAN renforce les capacités militaires dans la région grâce à des infrastructures et des équipements adaptés, tels que les sous-marins suédois Gotland et A26, particulièrement efficaces dans les eaux peu profondes de la Baltique.
Et Carnegie Endowment for Peace d'expliquer :
« Avant même l'incident d'octobre 2023, l'OTAN, l'UE et certains gouvernements européens ont commencé à redoubler d'efforts pour renforcer la résilience et la sécurité des câbles sous-marins. En février 2023, l'OTAN a mis en place une nouvelle cellule de coordination des infrastructures sous-marines critiques à Bruxelles afin de réunir les parties prenantes et d'améliorer la coordination entre les secteurs public et privé. En juillet 2023, les alliés de l'OTAN réunis au sommet de Vilnius ont créé un centre maritime pour la sécurité des infrastructures sous-marines critiques dans le cadre du commandement maritime de l'Alliance à Northwood (Royaume-Uni). En octobre 2023, après le premier incident, les ministres de la défense de l'OTAN ont approuvé une nouvelle vision numérique des océans, une initiative visant à améliorer la surveillance sous-marine. En février 2024, la Commission européenne a publié sa première « Recommandation sur des infrastructures de câbles sous-marins sûres et résilientes », encourageant les États membres à effectuer régulièrement des tests de résistance, à améliorer le partage d'informations entre eux et à renforcer les capacités de maintenance et de réparation des câbles.
« À la fin du mois dernier, lors d'un sommet des dirigeants des pays nordiques et baltes en Suède, le Premier ministre polonais Donald Tusk a proposé un programme commun de police navale entre les pays de la mer Baltique afin de protéger leurs infrastructures sous-marines contre les menaces extérieures à la sécurité. Ce programme se déroulerait parallèlement à une mission de police aérienne de la Baltique déjà en place. Mais ces États savent bien que toute mesure de protection doit être étroitement liée à la dissuasion - aucune patrouille militaire ne peut couvrir toutes les infrastructures sous-marines ».
Défis juridiques et techniques
Malgré ces avancées, la mer Baltique reste un espace maritime international, limitant le contrôle total de l'OTAN. Certaines propositions, comme l'extension des eaux territoriales de la Finlande et de l'Estonie pour éliminer les zones économiques exclusives (ZEE), sont controversées. Sur le plan technique, des solutions comme l'installation de capteurs sous-marins, de drones autonomes, ou le renforcement de la surveillance maritime sont envisagées. Cependant, ces mesures nécessitent des investissements importants de la part des gouvernements et des opérateurs privés.
« Les dispositions actuelles du droit international ne sont pas formulées pour protéger de manière adéquate les câbles de données sous-marins contre le sabotage ni pour tenir les auteurs responsables. Cette réalité devrait conduire l'UE, en tant qu'organe intrinsèquement axé sur la résilience des régimes juridiques internationaux, à faire pression en faveur de mises à jour mieux adaptées à la réalité géopolitique actuelle. Ce faisant, les gouvernements européens devraient s'assurer qu'ils alignent mieux leurs instruments juridiques et réglementaires concernant la protection des câbles sous-marins, en poussant à une plus grande normalisation dans ce domaine où les régimes réglementaires sont fragmentés. Les législateurs devraient également étudier les moyens d'augmenter les sanctions en cas de dommages causés aux câbles sous-marins, notamment pour décourager les actes de sabotage ».
La nécessité d'une stratégie coordonnée
Pour surmonter ces défis, des experts plaident pour la création d'un commandement naval spécifique pour la Baltique au sein de l'OTAN. Cette structure garantirait une coordination optimale et éviterait que les responsabilités soient diluées entre différents commandements. Par ailleurs, des experts civils et militaires venant de l’ensemble de l’OTAN se sont réunis ce mardi (10 décembre 2024) au siège de l’Organisation pour intensifier encore la coopération dans la lutte contre les menaces pesant sur les infrastructures sous-marines critiques.
Les participants à la réunion, rejoints par des représentants de l’industrie, et notamment par des représentants d’opérateurs télécoms, ont passé en revue les mécanismes permettant d’affiner la connaissance de la situation, d'améliorer le partage de l’information et l’état de préparation, et d’assurer la dissuasion et la défense contre les attaques visant les infrastructures sous-marines.
« Il est primordial de tirer parti des innovations et des technologies, notamment à l’appui d’une meilleure détection et d'une meilleure surveillance des activités suspectes menées à proximité des infrastructures sous-marines critiques », a déclaré Jean-Charles Ellermann-Kingombe, secrétaire général adjoint de l'OTAN pour l’innovation, l’hybride et le cyber. « La problématique n’est pas nouvelle pour l’OTAN, mais elle nécessite un resserrement de la coopération entre acteurs civils et acteurs militaires face à l’intensification des campagnes hostiles, notamment côté russe ».
Une évolution dans les réponses
Carnegie Endowment for Peace note que :
« Certains observateurs affirment que le dernier incident de coupure de câble est la preuve que les efforts de l'Europe ont échoué. Mais les différences dans les réactions à ces deux incidents démontrent le nouveau sérieux avec lequel ces questions sont prises en compte dans toute l'Europe. En 2023, le NewNew Polar Bear a continué à naviguer après avoir endommagé deux câbles sous-marins et un gazoduc. Le navire a ignoré les demandes des autorités finlandaises et estoniennes d'interrompre son voyage et est rentré au port de Tianjin, en Chine. Au moment de la publication, les autorités estoniennes attendent toujours que leurs homologues chinoises accomplissent les procédures nécessaires pour que l'Estonie mette fin à son enquête criminelle sur l'incident.
« En revanche, le Yi Peng 3 se trouve actuellement dans les eaux internationales du Kattegat, et des navires de la marine et des garde-côtes du Danemark, de l'Allemagne et de la Suède tournent autour de lui. En vertu du droit maritime international, les autorités de ces pays ne sont pas autorisées à monter à bord du Yi Peng 3, sauf accord de l'État du pavillon, en l'occurrence la Chine. La seule exception est la convention de 1884 sur les câbles sous-marins, qui autorise les autorités des navires de guerre des signataires à arraisonner les navires soupçonnés d'endommager les câbles sous-marins afin de déterminer la nationalité de l'équipage. La situation et la légalité de l'arraisonnement du navire par les autorités pour approfondir l'enquête seraient différentes si le navire se trouvait dans les eaux territoriales suédoises ou danoises, ce qui explique sans doute pourquoi le Premier ministre suédois Ulf Kristersson a demandé au Yi Peng 3 de revenir plus près de la Suède ».
Conclusion
En conclusion, les incidents récents rappellent l'importance d'une réponse collective et coordonnée face aux menaces hybrides en mer Baltique. Si des progrès ont été réalisés, des défis techniques, juridiques et financiers subsistent, exigeant une coopération accrue entre l'OTAN, les États membres et le secteur privé.
« À l'avenir, les Européens doivent améliorer leurs mécanismes de partage de l'information et les échanges entre les parties prenantes publiques et privées afin d'obtenir une image plus claire de leurs vulnérabilités sous-marines. Ils doivent investir dans de nouvelles technologies de protection des infrastructures sous-marines et dans des capacités de réparation des câbles afin d'améliorer la sécurité physique de leurs câbles. Ils devraient allouer stratégiquement des ressources pour soutenir les leaders européens du marché de l'installation de câbles sous-marins. Enfin, ils devraient poursuivre des initiatives créatives avec les pays partenaires pour garantir la sécurité des données circulant dans leurs câbles et approfondir les partenariats mondiaux avec les pays qui ne disposent pas de redondances de câbles ou de capacités de réparation suffisantes. Un prochain rapport du Carnegie Endowment présentera des recommandations plus détaillées sur la manière dont l'Europe peut à la fois se protéger contre les dommages futurs causés aux câbles sous-marins et contribuer à l'expansion des réseaux de confiance dans le monde entier ».
Sources : Carnegie Endowment for Peace, OTAN
Et vous ?
Qui doit financer les technologies de surveillance sous-marine : gouvernements, opérateurs privés ou une combinaison des deux ?
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Les câbles sous-marins devraient-ils être considérés comme des infrastructures militaires ou civiles dans le contexte de la sécurité collective ?
La création d'un commandement naval spécifique pour la Baltique au sein de l'OTAN est-elle une solution réaliste et efficace pour améliorer la sécurité régionale ?
Les cadres juridiques actuels en mer Baltique permettent-ils de répondre aux menaces hybrides ou nécessitent-ils une refonte ?
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Le , par Stéphane le calme
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