La grande enseigne de la technologie avait évoqué ce changement de tarification l’été dernier, le présentant comme une nécessité étant donné la demande croissante et les coûts administratifs liés aux adresses IPv4. Après tout, le protocole 32 bits est limité à environ 4,3 milliards d’identifiants uniques. Cela peut sembler beaucoup, mais à l’ère de la prolifération des appareils dits intelligents, nous sommes effectivement en train d'en manquer. Et à mesure que les identifiants se raréfient, les coûts associés ont grimpé en flèche.
Encourageant les utilisateurs à passer à l’IPv6 avec son vaste pool d’adresses 128 bits, Amazon a déclaré :
Envoyé par Amazon
Mais l’IPv4 reste largement utilisé dans le monde, même si ses ressources d’adresses sont presque épuisées. Et Amazon détient un trésor d’adresses recherchées. Une analyse d'Andree Toonk a estimé qu’Amazon contrôle près de 132 millions d’adresses IPv4 publiques. En faisant quelques calculs, Andree Toonk a découvert leur valeur vertigineuse - environ 4,6 milliards de dollars selon le prix moyen actuel d’une adresse IPv4 de 35 dollars. Bien sûr, Amazon ne peut pas simplement encaisser et se débarrasser de ce patrimoine internet. Cependant, il peut générer des revenus récurrents en facturant les utilisateurs actifs. Andree Toonk estime que 30 % de ces adresses IP (79 millions) sont liées à des services AWS générant des revenus. Des calculs rapides révèlent plus d’un milliard de dollars par an de revenus projetés grâce à cet ajustement de politique.
Andree Toonk conclut qu’Amazon pourrait gagner entre 400 millions et 1 milliard de dollars par an avec ces nouveaux prix. Pas mal du tout. Le bouleversement des prix souligne les changements profonds dans l’infrastructure internet. Gérer ce pool fini devient plus difficile et plus coûteux. Pendant ce temps, les avantages de l’IPv6 (au-delà de son nombre d’adresses galactique) comprennent des gains de vitesse et une sécurité améliorée. Par exemple, dans un billet datant de 2015, Facebook affirmait que les optimisations de l’IPv6 accéléraient leur site de 10 à 15 %. Et lorsque correctement mis en œuvre, le nouveau protocole protège également contre les vulnérabilités courantes de l’IPv4.
10 ans plus tard, où en est l'adoption de l'IPv6 ?
Cela fait maintenant plus d’une décennie que l’IPv6 a été officiellement lancé, mais son adoption a été lente et progressive. Bien que le monde ait officiellement épuisé les adresses IPv4 non allouées en 2019, selon le registre Internet régional européen RIPE, il a publié des chiffres l’année dernière montrant que la table de routage IPv4 comptait encore six fois plus d’entrées que celle de l’IPv6.
AWS espère que sa décision de facturer les adresses IPv4 publiques incitera ses clients à accélérer leur transition vers l’IPv6, qui offre non seulement plus d’espace d’adressage, mais aussi des avantages en termes de performance, de sécurité et de simplicité.
Mais qu’est-ce qui peut expliquer la lenteur de la transition vers ce protocole ?
Une étude a été menée du fait qu’il y a un besoin de mieux comprendre les motivations économiques derrière la « mise à niveau » de l’IPv4 vers IPv6. L’étude a examiné des données quantitatives sur les niveaux actuels et les tendances de l’adoption de l’IPv6. L’étude s’intitule : « The Hidden Standards War: Economic Factors Affecting IPv6 Deployment », elle cherche à expliquer les données en se basant sur une analyse des motivations économiques affectant les opérateurs de réseau.
L’étude cherche à appréhender plusieurs problématiques, notamment la compétition en cours entre IPv4 et IPv6 qui a de grandes implications sur le futur d’internet selon les auteurs. « Cet internet à standards mixtes constitue-t-il un phénomène de passage, ou bien allons-nous rester coincés dans cette mixité ? S’il s’agit seulement d’une phase transitoire d’une guerre de standards et l’un d’eux va prévaloir, lequel va gagner ? Si IPv6 domine, combien de temps nous faudra-t-il pour en arriver là ? Est-il possible que l’IPv6 perde en réalité la compétition des standards et devienne un “orphelin” proverbial de la littérature des standards économiques ?”
Les chercheurs ont noté que personne n’exploite l’IPv6 seul ; tous les opérateurs réseau, qu’ils soient publics ou privés, doivent offrir la meilleure compatibilité possible avec les autres réseaux et le plus possible de points finaux et d’applications. En prenant en considération cette contrainte fondamentale, les opérateurs ont trois options :
- Rester sur l’IPv4 (ne rien faire)
- Exploiter IPv4 et IPv6 (implémenter un dual stack)
- Tourner un IPv6 natif avec les parts compatibles de leur réseau avec une sorte de “tunnellisation” ou traduction aux limites pour le rendre compatible avec l’IPv4.
L’étude a montré que le deuxième choix n’est pas viable économiquement. C’est le troisième choix qui serait le plus logique pour certains réseaux émergents. Les chercheurs ont montré aussi qu’il n’existe pas de différence entre les réseaux qui ont choisi différentes options, ils ont accès au même internet après tout. Un autre point important est que les coûts liés au déploiement sont exclusivement à la charge des réseaux qui déploient l’IPv6. En effet, ils doivent faire des investissements en infrastructure et de formation, et subir des coûts de compatibilité. Les autres réseaux qui choisissent de rester sur l’IPv4 doivent payer seulement pour des numéros supplémentaires, et seulement s’ils en ont besoin pour leur développement.
En parlant de coût, l’étude a trouvé une forte corrélation entre les niveaux de déploiement de l’IPv6 et la richesse d’un pays (mesurée en termes de PIB). Le PIB par habitant explique près de la moitié de la variation des niveaux de déploiement de l’IPv6 à travers les pays. Cependant, l’étude n’a pas trouvé une corrélation entre le déploiement de l’IPv6 par un opérateur réseau et les changements de part de marché. Les chercheurs ont noté que ce constat serait lié à deux raisons :
- La présence de plusieurs acteurs sur un marché augmente les chances que l’un d’eux va faire un choix arbitraire de déploiement.
- Un marché plus ouvert permet l’entrée de nouvelles firmes (comme cela a été le cas de Jio en Inde) avec des infrastructures plus modernes, et qui sont plus favorables à la structure du coût pour l’IPv6.
La bonne nouvelle est que le déploiement de l’IPv6 est tout à fait logique d’un point de vue économique pour les opérateurs qui ont besoin de se développer. La mauvaise nouvelle est que plusieurs réseaux n’ont pas besoin de grandir à ce point. Et même s’ils en ont besoin, ils seraient contraints d’assurer une compatibilité avec l’écosystème logiciel et matériel lié à l’IPv4 et qui avance au ralenti, ont écrit les auteurs.
On pourrait ajouter trois autres problèmes ou symptômes qui ont contribué à l’échec du déploiement de l’IPv6 :
- Il y a beaucoup de différences entre IPv6 et IPv4, ce qui a rendu la transition plus difficile.
- La promotion de l’IPv6 a commencé bien avant qu’une demande réelle existe. Bien évidemment, il est toujours bon de préparer les gens (et les fabricants), mais ça a donné l’impression que l’IPv6 est un échec.
- La demande pour l’IPv6 est asymétrique. D’une part vous avez une partie qui est à court d’adresses IPv4 et qui a besoin de l’IPv6, et d’autre part, il y a les autres qui ont assez d’adresses IPv4 et n’ont aucune raison de changer.
Sources : Amazon, Andree Toonk, adoption IPv6 selon Google, Facebook
Et vous ?
Que pensez-vous de la nouvelle politique de tarification d’Amazon pour les adresses IPv4 publiques ?
Selon vous, quels sont les avantages et les inconvénients de passer à l’IPv6 ?
Comment gérez-vous la pénurie et le coût croissant des adresses IPv4 dans votre activité ou votre usage personnel ?
Pensez-vous qu’Amazon profite de sa position dominante sur le marché du cloud pour imposer ses prix ?
Quelles sont les alternatives possibles à AWS pour les utilisateurs qui cherchent à réduire leurs dépenses en adresses IPv4 ?