Le commissaire européen au marché intérieur Thierry Breton a annoncé en novembre dernier les projets du continent pour la constellation IRIS². À l'époque, Breton a déclaré : « IRIS² fait de l'espace un vecteur de notre autonomie européenne, un vecteur de connectivité et un vecteur de résilience. Elle renforce le rôle de l'Europe en tant que véritable puissance spatiale. Avec une ambition et un sens de l'orientation clairs ». L'appel d'offres lancé par la Commission européenne pour IRIS² après le vote du projet au Parlement européen a été remporté par un consortium ouvert composé des plus grands noms de l'espace et des télécommunications de l'UE.
Il s'agit notamment d'Airbus Defence and Space, Eutelsat, Hispasat, SES, Thales Alenia Space pour l'espace, Deutsche Telekom, OHB, Orange, Hisdesat, Telespazio et Thales. « Ensemble, le consortium souhaite construire la constellation de satellites sur une architecture multiorbite qui sera interopérable avec l'écosystème terrestre », a déclaré le consortium dans un communiqué de presse. Avec les gros bonnets qui font la queue pour le contrat qui devrait coûter 6 milliards de dollars, il semble y avoir peu d'espace pour les nouveaux venus dans le secteur spatial, ce que l'UE a encouragé pour créer un secteur spatial commercial plus fort en Europe.
Cependant, bien qu'il soit dominé par des acteurs industriels établis, le consortium a déclaré qu'il encouragerait les startups du secteur spatial européen à rejoindre la coalition. Cela répond au souhait de Breton d'élargir le secteur spatial commercial européen. L'UE estime le coût de la constellation IRIS² à environ 6 milliards d'euros, et l'objectif est qu'elle soit prête à assurer une couverture mondiale d'ici à 2027. Le budget et le calendrier de ce projet sont ambitieux, compte tenu de la coordination requise et du fait que la fusée européenne Ariane 6 pourrait ne pas disposer de la capacité de lancement nécessaire pour placer les satellites en orbite d'ici 2025.
La fusée Ariane 6 ne sera pas lancée avant 2024 au plus tôt. Cependant, les responsables européens ont ressenti le besoin de prendre cette décision afin de rester un acteur majeur dans les activités spatiales, qui incluent de plus en plus les communications par satellite. Les responsables européens ne voulaient pas être redevables à Elon Musk et à sa constellation Starlink, qui fournit déjà une connectivité via satellites. Les chefs de gouvernement européens se méfient déjà de la fusée Falcon 9 de SpaceX pour le lancement de certains de leurs satellites. Ils se sont également montrés très réservés à l'égard de la constellation Project Kuiper d'Amazon.
La Chine développe également sa propre mégaconstellation, mais l'Europe ne souhaitait manifestement pas confier ses communications sécurisées à un rival mondial aux intentions douteuses. Il restait donc OneWeb. Mais ce réseau est partiellement détenu par le Royaume-Uni, qui a quitté très publiquement l'UE en 2020 et pourrait ne pas avoir la capacité de répondre à tous les besoins de l'UE. Fondamentalement, l'UE était confrontée à un choix difficile. Les responsables européens ont donc ressenti le besoin de se débrouiller seuls. En fait, il est certain que les entreprises européennes possèdent une grande expertise dans la construction de satellites.
L'expérience de l'Agence spatiale européenne (ESA) dans le développement des constellations Galileo et Copernicus contribuera à l'élaboration des plans pour l'avenir. Le véritable défi consiste à coordonner tout cela. De sérieuses questions se posent sur la manière dont tous ces grands partenaires peuvent travailler ensemble et sur la capacité de la bureaucratie de l'UE à faire avancer ce projet rapidement vers la date butoir de 2027. À titre de comparaison, SpaceX a lancé ses deux premiers satellites d'essai en février 2018. À partir de là, il a fallu environ quatre ans à SpaceX pour commencer à déployer une couverture mondiale sur son réseau Starlink.
Mais SpaceX disposait de quelques avantages majeurs : aucune bureaucratie - pour le meilleur ou pour le pire, les décisions sont prises par une seule personne, Musk - un financement exemplaire et une volonté de dépenser des capitaux privés, ainsi que la seule fusée réutilisable et à haute cadence au monde. Par ailleurs, le fait qu’une part très importante du budget du projet IRIS² sera prise en charge par le secteur privé inquiète les analystes. En effet, sur les 6 milliards d'euros prévus pour le projet, l'UE versera 2,4 milliards d'euros, l'ESA 685 millions d'euros, tandis que le reste sera couvert par le secteur privé (soit environ 3 milliards d'euros).
Breton a déclaré qu'IRIS² n'est pas un concurrent direct de Starlink et a décrit la constellation comme une infrastructure hautement critique. Ainsi, selon les analystes, la part du budget prise en charge par le secteur privé risque de créer une dépendance vis-à-vis des entreprises privées. Cela soulève également la question de savoir qui doit être chargé de veiller à ce qu'elles soient disponibles et prêtes à être utilisées, notamment en temps de crise où ce type d'infrastructure peut s'avérer vitale. L'exemple le plus récent est le déploiement de Starlink en Ukraine pour assurer la continuité des communications du pays après l'invasion de la Russie.
L'eurodéputé du groupe Renew Europe, Christophe Grudler (Mouvement Démocrate, France), rapporteur sur le programme IRIS² de l'UE, a déclaré : « avec la guerre, l'Ukraine avait besoin de télécommunications par satellite, mais l'UE n'avait rien à offrir. L'Ukraine ne devrait pas avoir à compter sur les caprices d'Elon Musk pour défendre son peuple. Avec IRIS², l'UE disposera de sa propre constellation de télécommunications, capable d'offrir des communications sécurisées aux gouvernements et aux alliés européens. Je suis fier que cette constellation soit également un exemple mondial en matière de durabilité, comme nous l'avons demandé ».
Si IRIS² est conçue pour garantir la résilience des services gouvernementaux en cas de crises majeures, mais qu'il venait à être en grande partie contrôlé par les entreprises privées, la même chose pourrait se produire. IRIS² est censée permettre à l'UE d'éviter ce type de scénario, mais la collaboration avec le secteur privé fait l'objet de critiques et d'un débat intense dans la communauté. Certains qualifient même l'annonce d'"un grand coup de communication" de la part de l'UE afin de montrer au monde qu'elle réagit face à la montée en puissance des réseaux satellitaires d'acteurs étrangers tels que Starlink de SpaceX et Kuiper d'Amazon.
Source : communiqué de presse
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