Avec l'avènement des réseaux sociaux et la montée en puissance de la diffusion en direct, le besoin en bande passante des plateformes a considérablement augmenté. Cela a poussé les télécoms à renforcer leurs infrastructures pour continuer à supporter l'augmentation du trafic sur leurs réseaux. Mais désormais, certains souhaitent que les Big Tech partagent la facture. En Europe, les groupes de télécommunications ont fait pression sur les régulateurs européens pour qu'ils envisagent de faire payer les entreprises qui envoient du trafic sur leurs réseaux afin d'aider à financer les mises à niveau gigantesques de leurs infrastructures.
Les groupes de télécommunications estiment que les plateformes comme Amazon Prime et Netflix requièrent d'énormes quantités de données et devraient donc payer une partie de la facture pour l'ajout de nouvelles capacités afin de faire face à cette pression accrue. « L'argument simple est que les opérateurs de télécommunication veulent être dûment rémunérés pour avoir fourni cet accès et cette croissance du trafic », a déclaré Paolo Pescatore, analyste des médias et télécommunications chez PP Foresight. Les opérateurs s'inquiètent du manque à gagner pour les applications d'appels vocaux en ligne telles que WhatsApp et Skype.
Ils les considèreraient comme des services de "parasitisme". En 2012, le groupe de pression European Telecommunications Network Operators Association (ETNO), qui compte BT, Vodafone, Deutsche Telekom, Orange et Telefonica parmi ses membres, a appelé à une solution qui verrait les entreprises de télécommunications conclure des accords individuels de compensation de réseau avec les entreprises Big Tech. Mais cela n'a jamais vraiment débouché sur quoi que ce soit. Les régulateurs se sont prononcés contre la proposition, estimant qu'elle pourrait causer un "préjudice important" à l'écosystème de l'Internet.
Mais le débat semble avoir évolué au cours de ces dernières années. L'idée a obtenu un soutien politique, la France, l'Italie et l'Espagne faisant partie des pays qui se sont prononcés en sa faveur. La Commission européenne a préparé une consultation sur la question, qui devrait être lancée au début de l'année prochaine. En effet, après l'épidémie de coronavirus en 2020, la conversation a changé. Les responsables de l'UE craignaient vraiment que les réseaux ne s'effondrent sous la pression des applications permettant aux gens de travailler à domicile et de regarder des films et des émissions de télévision en boucle.
En réponse, certaines entreprises comme Netflix et Disney Plus auraient pris des mesures pour optimiser l'utilisation de leurs réseaux en réduisant la qualité des vidéos. Mais certains politiques estiment que cette mesure est insuffisante. En mai de cette année, la responsable de la concurrence de l'UE, Margrethe Vestager, a déclaré qu'elle étudierait la possibilité de faire payer les coûts de réseau aux grandes entreprises technologiques. « Il y a des acteurs qui génèrent beaucoup de trafic qui leur permet d'exercer leur activité, mais qui n'ont pas contribué à ce trafic », a-t-elle déclaré lors d'une conférence de presse.
Un rapport publié à la demande de l'ETNO montre que Meta, Alphabet, Apple, Amazon, Microsoft et Netflix représentaient plus de 56 % de l'ensemble du trafic mondial de données en 2021. Le rapport ajoute qu'une contribution annuelle aux coûts de réseau de 20 milliards d'euros (19,50 milliards de dollars) de la part des géants de la technologie pourrait stimuler la production économique de l'UE de 72 milliards d'euros. Les opérateurs investissent d'importantes sommes dans leurs infrastructures pour soutenir la 5G et les réseaux en fibre optique. Selon une estimation, ces investissements avoisinent les 50 milliards d'euros par an.
« Les géants américains de la technologie devraient apporter une contribution équitable aux coûts considérables qu'ils imposent actuellement aux réseaux européens », ont déclaré les patrons de 16 télécoms dans une déclaration commune le mois dernier. Ils ont ajouté que l'augmentation des prix des câbles de fibre optique et de l'énergie a eu un impact sur les coûts des opérateurs, ce qui renforce l'idée d'une redevance d'accès au réseau. L'ETNO appelle la Commission européenne à adopter des politiques qui donnent la priorité à la durabilité de la planète et à l'industrie des télécommunications.
Le débat ne se limite pas non plus à l'Europe. En Corée du Sud, les télécoms ont également fait pression sur les politiciens pour obliger les acteurs comme YouTube et Netflix à payer l'accès au réseau. L'entreprise sud-coréenne SK Broadband a même poursuivi Netflix à la fin de l'année dernière pour les coûts de réseau associés au lancement de son émission à succès "Squid Game". SK Broadband a allégué dans sa plainte que Squid Game (qui pourrait être traduit par "le jeu du calmar" en français) a suscité un engouement sans précédent sur la plateforme, ce qui aurait fait grimper le trafic à 1,2 Tb/s.
En outre, le cabinet d'études de marché Omdia prévoit que les revenus globaux des services mobiles et fixes devraient augmenter de 14 % pour atteindre 1,2 billion d'euros au cours des cinq prochaines années. Pendant ce temps, le revenu mensuel moyen par utilisateur des services de télécommunications devrait baisser de 4 % au cours de la même période. Les entreprises de télécommunications seraient devenues des services d'utilité publique plutôt que des marques commerciales qui vendaient les gadgets et les services les plus populaires, comme Nokia et sa marque emblématique de téléphones portables.
Confrontés à une compression des bénéfices et à la baisse du cours des actions, les FAI chercheraient des moyens de générer des revenus supplémentaires. « Les services vidéo ont entraîné une croissance exponentielle du trafic de données et l'amélioration des formats d'image comme le 4K et le 8K - associée à l'essor des applications de vidéos courtes comme TikTok - signifie que cette croissance va "proliférer" au fil du temps. Les opérateurs télécoms ne génèrent pas de revenus supplémentaires au-delà de la connexion pour fournir l'accès, qu'il s'agisse de fibre optique ou de 4G/5G », a déclaré Pescatore.
De leur côté, les grandes entreprises technologiques ne pensent pas qu'elles devraient payer pour le privilège d'envoyer leur trafic aux consommateurs. Google, Netflix et d'autres font valoir que les clients des FAI leur paient déjà des frais d'appel, de texte et de données pour investir dans leur infrastructure, et que le fait de forcer les diffuseurs ou d'autres plateformes à payer pour le passage du trafic pourrait porter atteinte au principe de neutralité du réseau, qui interdit aux fournisseurs de large bande de bloquer, de ralentir ou de facturer davantage pour certaines utilisations du trafic.
Les géants de la technologie affirment qu'ils investissent déjà des sommes considérables dans l'infrastructure Internet en Europe - 183 milliards d'euros entre 2011 et 2021, selon un rapport du cabinet de conseil Analysys Mason - notamment dans les câbles sous-marins, les réseaux de diffusion de contenu et les centres de données. Netflix propose gratuitement aux opérateurs télécoms des milliers de serveurs de cache, qui stockent localement le contenu Internet pour accélérer l'accès aux données et réduire la pression sur la bande passante. Google pense que cette proposition bouleversera bon nombre des principes de l'Internet ouvert.
Par ailleurs, l'un des problèmes fondamentaux de la proposition est que l'on ne sait pas très bien comment les paiements aux entreprises de télécommunications fonctionneraient dans la pratique. Il pourrait s'agir d'une taxe prélevée directement par les gouvernements. Ou bien, il pourrait s'agir d'une initiative du secteur privé, les entreprises technologiques donnant aux compagnies de télécommunications une part de leurs ventes proportionnelle à la quantité de trafic dont elles ont besoin. Il n'y aurait pas une solution facile. Et cela a suscité l'inquiétude des entreprises technologiques et d'autres critiques qui disent qu'elle pourrait être irréalisable.
« C'est le plus grand point d'interrogation. Est-ce qu'on se concentre sur le volume, le pourcentage de trafic provenant de certains sites Web ? Quel sera le point de coupure ? Que se passera-t-il si on le dépasse ou si on ne le dépasse pas ? Plus les règles sont lâches, plus le nombre d'entreprises pouvant devenir redevables est important, mais plus elles sont strictes, et elles ne cibleront que quelques-unes (qui seront américaines avec leurs propres implications géopolitiques) », a déclaré Dexter Thillien, analyste principal des technologies et des télécommunications à The Economist Intelligence Unit.
Enfin, tous les régulateurs ne seraient pas d'accord. Une évaluation préliminaire de l'Organe des régulateurs européens n'a pas trouvé de justification aux paiements compensatoires des réseaux. Au Royaume-Uni, l'Ofcom, l'organisme de surveillance des communications, a également émis des doutes, déclarant qu'il n'avait "pas encore vu de preuves suffisantes de la nécessité d'une telle mesure".
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